Les bonnes pratiques UX des muséologues scientifiques.
Travailler sur l’expérience utilisateur n’est pas l’apanage des designers ou des ergonomes. D’autres s’y frottent et, après avoir assisté au colloque La muséologie scientifique, toute une histoire !, je me dis que nous avons à apprendre des experts issus d’autres domaines. Ceux que j’ai eu l’opportunité d’écouter ont pour ambition de donner le goût des sciences. Et ce n’est pas une mince affaire…
Alors quelles bonnes pratiques peut-on leur emprunter ? Comment ces experts créent-ils de l’engouement autour de sujets si sérieux ? En quoi leur démarche fait-elle écho à la nôtre ?
Face à des objectifs, similaires d’ailleurs à ceux de n’importe quel fournisseur de services, voici leurs solutions.
Objectif n° 1 – Adresser un public le plus large possible
Face au challenge perpétuel de faire venir les publics dans leurs expositions, les espaces dédiés à la science, Muséums d’Histoire naturelle et autres CCSTI (Centres de Culture Scientifique, Technique et Industrielle), ont recours à différentes stratégies.
Toujours plus de multicanal
Si le numérique représente une nouvelle forme d’écriture pour raconter la science, c’est également un formidable moyen de démultiplier les points de contact. Les visiteurs potentiels n’ont pas le temps, l’envie ou le budget pour se déplacer ? Aucun problème, les institutions s’implantent sur de nouveaux territoires pour leur parler partout et à tout moment : sites internet et applications, web tv, live streaming… Les nouvelles technologies ont également généré des formats d’événements inédits dont s’emparent les muséologues : MOOC (Massive Open Online Course), workshops, fab lab…
Faire intervenir l’utilisateur final le plus tôt possible
Focus groups déguisés, les workshops de la Casemate de Grenoble, encadrés par des spécialistes de la médiation culturelle, sont l’occasion de faire émerger des « désirs de visite » et, ainsi, de favoriser l’engouement sur la programmation du lieu. Après tout, comme le dit le directeur de la Casemate, Laurent Chicoineau, « Les experts, ce sont les visiteurs ! ». Impliquer l’utilisateur en amont, c’est aussi possible à moindres frais, grâce aux réseaux sociaux comme Twitter ; plus qu’un moyen de communication vers l’extérieur, ce sont d’excellents outils d’écoute des gens, de leurs envies, de leurs questionnements…
Adapter le storytelling au public
Pour les youtubeurs qui se sont spécialisés dans la vulgarisation scientifique, c’est le travail sur le tone of voice qui favorise grandement l’adhésion du public. Pour rendre le sujet moins barbant, Max Bird (200 744 abonnés) a recours « aux vannes et à des références populaires », tandis que Bruce Benamran, créateur de la chaîne e-penser (804 210 abonnés), parle à la caméra « comme à un pote ».
Afin d’adresser un public ciblé, comme les enfants ou les jeunes filles, un travail de recherche préliminaire conséquent est réalisé lors de la conception des expositions. Ainsi l’équipe du département Visitor Research & Evaluation de l’Exploratorium de San Francisco a publié le guide Exhibit Designs for Girls’ Engagement. Les points essentiels du design (supports d’information, look & feel, modes d’interactions) permettant d’engager au maximum les jeunes filles lors d’une exposition y sont décrits et illustrés de verbatims. Dans la même veine, l’exposition Bébés Animaux, conçue pour un jeune public ne sachant pas forcément lire, a été construite en étroite collaboration avec des enfants de maternelle. Les muséologues ont testé au préalable auprès d’enfants de 3 à 8 ans le contenu, les jeux et les multimédias de l’exposition.
Objectif n° 2 – Favoriser l’engagement des visiteurs
Pousser à l’interaction
S’il y a bien un point qui fait consensus dans le domaine de la muséologie scientifique, c’est que l’intérêt et l’apprentissage passent par l’interaction : discuter avec les Explainers (jeunes scientifiques en charge de l’animation), réaliser des expériences ou assister à des démonstrations. C’est le fameux hands-on museum.
Plus que ça, encourager la contribution
Mais pour Michael John Gorman, ex-directeur de la Science Gallery de Dublin, si l’interaction est intéressante pour tisser du lien avec le public, c’est vers la contribution qu’il faut tendre ! L’engagement du visiteur est d’autant plus fort qu’il a la possibilité de participer à l’exposition. À la Science Gallery, ça commence avec des scans de cerveau et ça peut finir en fabrication de fromage à partir de prélèvements de bactéries de la bouche du visiteur !
Travailler sur la mémoire de l’expérience
Si l’on conçoit l’expérience pour le moment où elle sera vécue, le design a également pour objectif de favoriser la mémoire de l’expérience, ce souvenir constitué de briques d’usages, d’histoires et d’interactions. Se voir dans l’exposition a déjà un fort impact sur le visiteur mais, nous le savons, il faut également scénariser l’expérience, créer de l’inattendu et déclencher des émotions. Et bien que le numérique favorise les interactions et prolonge l’expérience au-delà de la visite, les experts de la muséologie s’accordent sur le rôle essentiel de l’analogie ainsi que de l’expérience sociale et sensitive. C’est cet aspect concret, physique, qui marque le plus les esprits et catalyse la compréhension du visiteur.
Objectif n°3 – Toujours améliorer l’expérience
Évaluer la réussite
Avant d’être en mesure de s’améliorer, il faut s’évaluer ! Et comment mesurer le succès d’une exposition ? Pour Jorge Wagensberg, fondateur du CoxmoCaixa, « La réussite se mesure au nombre de kilos de conversation que l’exposition génère ». Pour d’autres c’est plus classiquement le nombre de visiteurs.
L’équipe du Visitor Research & Évaluation de l’Exploratorium de San Francisco a d’autres critères : durée de visite, interaction entre les visiteurs, enthousiasme… Ainsi les visiteurs sont filmés et interviewés, leurs réactions analysées et leurs motivations décortiquées. Résultats qualitatifs et quantitatifs sont mêlés pour une compréhension fine des leviers d’engagements et des facteurs d’adoption.
Itérer, évoluer
L’évaluation n’a de sens que si elle entraîne des modifications dans le but d’améliorer l’expérience utilisateur. C’est un nouvel état d’esprit à adopter pour ces institutions. L’Exploratorium se positionne clairement dans cette démarche itérative. « Our exhibits are never “done.” We always watch for opportunities to improve them, and many exhibits experience several incarnations. The exhibits, like the museum itself, are a perpetual work in progress ».
Tout ça pour dire quoi ?
Oui et encore oui, l’UX designer doit toujours chercher à enrichir sa réflexion et sa connaissance de l’utilisateur dans d’autres disciplines. Les ponts avec l’anthropologie ou la psychologie sont aujourd’hui évidents, mais on peut aussi accrocher un public cible comme le font les muséologues scientifiques, appréhender un dispositif technologique à la façon d’un magicien (un des sujets du colloque Machines, magie, médias) ou encore construire son web design comme un physicien (Atomic Design).